Before the full Moon, Seo Seh-chin, 2009, 77 min.
Comme nous nous y attendions, une dizaine de personnes à tout péter dans la salle. C’est dommage parce que le fonctionnement de ce documentaire, par l’intrusion directe et furtive du réalisateur dans le lieu de la grève, n’est pas une démarche inédite. En 1990, le collectif marxisteJangsangotmae, nébuleuse d’étudiants créatifs et engagés, réalisait La Veille de la grève. Il s’agissait déjà de s’introduire dans les locaux d’une usine pour participer à une grève. Toutefois, le film de ce collectif était une fiction ; si la frontière avec la réalité est évanescente, il n’en reste pas moins que l’équipe du tournage a donné des directives aux grévistes « réels » et qu’elle a utilisé l’agencement des éléments de la grève dans le but de discourir de manière normative selon un schéma idéologique correspondant à une certaine forme de lutte des classes. Ainsi, que la référence fût à l’esprit du réalisateur ou non, ce documentaire avait a priori de quoi embraser les consciences.
Rien de tout cela ne transparaît dans Before the full moon. La volonté transgressive deSeo Seh-chin est manifeste, mais le discours inexistant ; soyons plus mesurés : lorsque le réalisateur essaye d’exprimer une idée, c’est selon une perspective larmoyante qui enferme la collectivité des grévistes dans un carcan suspicieusement misérabiliste. Le documentaire montre pourtant les éléments positifs de cette situation de quasi insurrection - capacité des travailleurs à s’autogérer et à serrer les rangs malgré les défections légitimes. La lutte se déroule dans une forme de construction positive mais l’édifice s’écroule lamentablement sous les ors et matraques du trop classique « grand capital ». En revanche, Laurent Cantet peut ranger son plan de sauvegarde de l’emploi (Ressources humaines), la « grève héroïque » met les organismes à rudes épreuves. Des blessés graves, des morts, des conditions sanitaires exécrables (eau, gaz et électricité coupée par les forces de l’ordre entourant l’usine), des poches d’acides liquide larguées depuis des hélicoptères de la police, de l’harcèlement sonore, de la propagande brise-grève, etc. Si le combat de ce presque millier d’employés a été remarquable, la défaite sonne malheureusement comme la fin d’une « mini-Commune ». Et dieu sait que le socialisme français à mis plusieurs décennies à se remettre sur pied à la suite du désastre. D’ailleurs, une brève visite de la blogosphère du « Grand Soir » qui relate les évènements permet de constater que les spécialistes voient dans cet échec un signe annonciateur de vache maigre sur la planète revendications sociales.
La contrainte du réalisateur pour ce documentaire est évidente : retracer les évènements avec la plus grande fidélité. Pourtant, il semble se libérer de certaines règles de bienséances du cadrage objectif et distant. Premièrement, il se met directement en scène en train d’entrer par effraction dans l’enceinte de l’usine. A ce stade, le documentaire est presque irrémédiablement vicié ; on entre dans le spectacle. Deuxièmement, il fait un emploi douteux, pour ne pas dire moralement répréhensible, de la musique. Celle-ci est clairement employée dans certaines scènes pour renforcer l’intensité dramatique de ce qui se déroule. Troisièmement, le réalisateur donne son avis, inintéressant, à la fin du film. En substance cela donne « je n’ai jamais connu le licenciement, mais à les voir pleurer, ça a l’air dur » (les sous-titres étaient souvent imprécis, il se peut que le propos en coréen soit différent).
A la lumière de ce faisceau d’indice, on peut clairement reprocher au réalisateur de ne pas tenir de discours. L’excuse de l’objectivité est inopérante dans la mesure où elle finit toujours par profiter au camp le mieux fouraillé. Le contexte dans lequel le réalisateur s’est délibérément installé ne lui permettait pas d’ergoter finement sur des considérations macroéconomiques. Il s’est trouvé en plein du cambouis : il devait donc assumer une position de combat. Un documentaire c’est comme une dissertation : on cherche une problématique, on trouve une thèse, on construit un plan et on formule une proposition. Before the full moon ne formule aucune proposition. Or il semble possible de tenir pour vrai que l’humanité, ainsi constituée, aime qu’on lui mâche le travail en formulant des pistes politiques sous forme de bullet points. Nous restons fermes dans nos convictions : si aucune œuvre cinématographique ne change le monde, le cinéma présente l’inestimable faculté de désigner immédiatement l’évidence d’un état de fait. Malgré cela, le montage de Before the full moon reste excessivement poli. L’ardente obligation de réalisme, préambule exigeant du nouveau cinéma sud-coréen, ne saurait être prétexte à se pâmer devant la ligne désespérément plate d’un électrocardiogramme clinquant neuf. Prendre pour sujet cette grève, point de cristallisation d’un lourd fardeau de polémiques, était éminemment ambitieux. Il eût donc été de bon ton d’ôter ses gants de golfs et de plonger ses bras « jusqu’aux coudes […] dans la merde et dans le sang ».
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