Et maintenant, finies les conjectures, le film est passé hier à 21h, on y était.
Commençons par une petite remarque, autant pour assister à la cérémonie d’ouverture il fallait venir deux heures avant et prier si vous n’aviez pas de billets, autant maintenant ça ne sert à rien : a priori vous pourrez vous asseoir et surtout les ouvreuses de l’Action Christine ne vendent pas les places à l’avance. Et puisqu’on est dans le paratexte, deux mots sur l’intro de Pierre Ricadat avant la projection du film : la traduction exacte du titre coréen serait plutôt « une journée extraordinaire », c’est le 4ème film de Lee Yoon-ki et il parle rapidement des projections de demain : pour bien comprendre Crazy Lee il faudrait voir les films auxquels il fait référence : les films d’action coréen des années 70 comme ceux que l’on peut retrouver à l’affiche du festival. C’est noté.
My Dear Enemy, c’est l’art du contre pied. Premièrement parce que le festival a commencé par son anti-thèse : The Man from Nowhere. Ensuite le casting : autant Jeon Do-yeon on l’a déjà vu dans ce registre et elle a même été récompensée à Cannes pour ça (tremblante du début à la fin, toujours sur la brèche) autant Ha Jeong-woo, pour nous autres occidentaux, c’est surtout The Chaser. Pendant les premières minutes du film, difficile d’oublier le marteau, le pic à glace, les cadavres dans le jardin. Son personnage a beau être tout gentil, touchant même à la fin, moi je ne lui ferais plus jamais confiance à ce type.
Avant de voir le film, on parlait d’un road-movie qui n’allait pas bien loin, les mots étaient bien choisis, mais pour de mauvaises raisons. Explications : s’il ne va pas bien loin (à tous les sens du terme), ce n’est pas qu’il n’y arrive pas, c’est qu’il ne le souhaite pas. My Dear Enemy est un mauvais titre, Une Journée Extraordinaire un peu moins, mais toujours trompeur. En même temps c’est plus aguicheur qu’ « Une journée presqu’ordinaire ». My Dear Enemy c’est l’anti-téléfilm, ce n’est jamais accrocheur et encore moins racoleur. On reste sur des légères variations sur un thème toujours identique. On passe la journée avec nos deux personnages principaux, on les suit à travers les rues de Séoul, il ne se passe pas grand-chose. C’est comme un sample qui passe en boucle avec d’imperceptibles évolutions : ils se rendent chez une connaissance de Byoun-woon, ils discutent un peu, elle boude, il essaie de la faire rire. Ils repartent avec de l’argent. Petit à petit on commence à comprendre, à les connaitre. Rien ne nous est dit, rien ne nous est donné, c’est un exercice d’observation sur œuvre naturaliste. Et comme c’est du bon cinéma : on montre, on ne dit pas (à part quand même l’intrusion ponctuelle et énigmatique d’une voix off).
Il faudrait aussi parler de la bande-son, extrêmement intéressante. Ici le souci de réalisme est poussé très loin, les bruits de la ville ne sont jamais couverts : même dans les scènes d’appartements on entend les moteurs étouffés des voitures qui passent. Tous les extérieurs semblent tournés sur place, avec un contrôle très léger de l’environnement. Franchement, entendre au cinéma le bruit des dizaines de caddies accrochés les uns aux autres que déplace une employé de supermarché au milieu d'un dialogue, on n’est pas habitués. Alors c’est sûrement fait exprès (sinon le perche-man a du perdre un tympan), mais cet instantané factice de la vie moderne est vraiment bien fait. Il y a bien un peu de musique, toujours un peu jazzy, mais elle ne sert quasiment qu’à ponctuer le récit, dans les périodes de translations, le passage d’une scène à une autre, comme on met de la musique dans sa voiture.
Evidemment la volonté de réalisme ne s’arrête pas à la bande-son. Road movie? On voyage dans Séoul certes, mais pas dans le bus pour touristes. Pas de cartes postales, on mange au KFC, on prend le bus et le métro et en plus il fait moche. Pas vraiment en road movie sur la road 66 avec un coucher de soleil en ligne de mire. Par contre le réalisateur ne fait pas l’erreur de faire un faux film documentaire. La mise en scène est assumée, les angles de prises de vue parfois très marqués et à part cette lumière jaunâtre au début du film, il n’y a pas grand à chose à redire. Les personnages sont très bien écrits : ils jouent un rôle, mais pas un rôle de cinéma. Lui accepte toutes les humiliations, sourient encore et toujours, veut voir les gens heureux. Il a du succès avec les filles, il est généreux, jamais prétentieux. Chaine de Ponzi de la solidarité et d'une belle naïveté, il emprunte à 10 pour en aider 1 et pendant deux heures il fait le clown pour arracher un sourire à Hee-soo, incarnant ainsi sa philosophie de vie : « tout dépend de la façon dont on voit les choses : si tu veux que ce soit bon, alors c’est bon». Elle, elle a toujours la larme à l’œil, on sent très bien qu’elle n’est pas venue que pour l’argent, on sait qu’ils sont sortis ensemble il y a quelques temps, peut-être qu’elle avait simplement besoin de le voir. Alors il joue le rôle qu’on attend de lui, celui du gentil garçon, puéril, amusant, que l’on ne veut pas voir sérieux parce que ça nous met mal à l’aise. Et ils passent la journée, et lentement, subtilement, les choses évoluent et elle laisse échapper quelques sourires... Alors vous l'aurez compris, les notions de twist final, de climax et compagnie, ce n'est pas pour ce soir.
En résumé, My Dear Enemy, c’est l’exact opposé de The Man From Nowhere, que ce soit aux niveaux du rythme, du ton, de la dramaturgie, des personnages, etc. Deux bons films extrêmement différents, l’un sera peut-être jugé bien foutu mais un peu facile, l’autre intéressant mais assez chiant. Peut-être, mais pas par nous. Un point commun par contre : les stars annoncées répondent présentes.
PS : pour ceux que ça travaillerait, la somme due par Byoon-woo, 3 500 000 wons, équivaut à peu près 2300 €.
PS2 : Les" Riri, Fifi et Loulous de la romance", on a bien envie de les voir maintenant.
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