vendredi 12 novembre 2010

Jour 3 - Earth's Women & Taebaek - La Guerre des Mondes (FFCF 2010)

Grosse journée documentaire aujourd'hui. Nous présentons Earth's women etTaebaek, Land of Embers ensembles. Le jour et la nuit. Vous comprendrez pourquoi.

Earth's Women, Kwon Woo-jung, 2010, 95 min.

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Avant d'y aller on se disait: "Alors là mes salauds, c'est pas de la basse cotte. Petite mèche sur le côté, regard perdu, elle franchement mignonne la petite Woo-jung... Euh... ah oui le film ! Pardon. Ben c'est un docu sur des étudiantes hantées par un rêve vert qui décident de partir vivre à la campagne et de devenir "paysannes". Une sorte de nostalgie transgénérationnelle sûrement, toujours est-il qu'évidemment ce genre d'enthousiasme idéaliste étudiant plein d'hormones et de poésie bucolique tourne généralement au vinaigre et j'ai bien l'impression que c'est le genre de déception qui peut être pas mal cinégénique. Surtout que les trois femmes qu'elle a décidé de suivre n'ont pas l'air de vouloir se laisser faire et s'appliquent à ajouter du sucre dans leur vinaigrette. En plus elle n'en est pas à son coup d'essai la gamine, elle a déjà réalisé quelques docus sur la communauté rurale. Et puis elle a remporté le grand prix du festival du film indépendant de Séoul."

Réalisé en un an et demi, Earth’s women relate la vie de SOH Hee-joo, BYUN Eun-joo, KANG Seon-hee – deux anciennes étudiantes en agronomie et une ancienne étudiante de… littérature allemande-, qui à la fin de leurs études décident d’aller vivre parmi les paysans dans la campagne profonde. Le film est présenté par un membre du staff comme entièrement bio et féminin. Les augustes avis de l’assemblée des sages que forment exclusivement Sans Congo et Joy Means Sick furent unanimes : Earth’s women est sûrement bio, il est certainement fait maison ; mais ce n’est pas bon et ce n’est pas beau. Le problème est double : nous n’avons pas adhéré à la démarche de la réalisatrice et nous n’avons pas ressenti de sympathie envers ces trois femmes.

Pour ce qui est des « protagonistes », elles sont plus militantes que paysannes ; surtout, leur militantisme semble exogène et circonstancié. On ne voit pas ce qu’elles sont venues chercher dans cette campagne, si ce n’est une cause à défendre. Il y a un côté complètement fake. Seon-hee veut à tout prix rester avec les militants, alors qu’on lui dit qu’il n’y a pas de taf. Elle accepte des donner des cours de soutiens gratuitement. Une sorte de flou opaque entoure la question de leurs revenus. Au bout du compte, on ne comprend pas pourquoi elles se battent. Autour de ces femmes, les paysans ont l’air bien plus intéressants, notamment les anciens et les maris. Cela étant, le procès d’intention est une démarche malhonnête, et nous nous arrêterons là. Nous avons été extrêmement sceptiques face à leur démarche, mais c’est peut-être parce que nous sommes de vieux cons. Tout au plus accorderons-nous notre soutien à Eun-joo qui doit payer 2 000 000 de wons (1 500 €) pour passer l’examen d’assistante sociale : nous sommes avec toi cousine.

Jetons donc notre dévolu sur la réalisatrice, Kwon Woo-jung. Alors là, c’est catastrophiquement faible. Nous ferons donc une liste de tout ce qui ne va pas. L’idée de la communauté paysanne est vaguement exposée ; on ne la voit qu’à travers les cours de soutien aux enfants et les « classes de récréation pour senior ». La réalisatrice s’intéresse à des éléments de leur vie qui ne font que moyennement sens, mis à part deux ou trois épisodes, dont la mort du mari de Seon-hee. Le traitement de l’enterrement est révoltant : non seulement l’insertion de la réalisatrice dans ce moment de la vie de Seon-hee est absolument injustifiée ; mais encore, comme le malin n’arrive jamais seul, la réalisatrice rajoute de la musique (CARTON ROUGE). En parlant de musique, une séquence, inutile, filme l’intérieur d’une voiture dont l’autoradio crache du Carla Bruni (RE-CARTON ROUGE). Et tiens, puisque ça nous démange, les séquences de flashbacks sont dégueu, la photo est pâle et cramée, amateur et indigeste, comme si elles avaient été montées avec windows movie maker (RE-RE-CARTON ROUGE). Enfin, filmer un documentaire avec une seule caméra, cela implique des procédés barbares : on monte dans l’instant, sans couper, à l’aide de zooms in/out et des rotations brusques. Bref, un truc gerbant, même le dernier film de vacances de Sans Congo était mieux réalisé.

Earth’s women ressemble à un téléfilm un peu foireux. La réalité filmée n’est pas assez forte et signifiante pour s’y tenir ; et en l’état, pas assez propulsé pour faire une fiction. Est-ce qu’une approche indirecte n’aurait pas été pertinente ? C’est aussi ça l’intérêt du cinéma. La séquence de la journée de la femme paysanne montrait que la réalisatrice pouvait filmer de manière plus narrative et dynamique. C’était très agréable, malheureusement cela n’a duré que trente secondes. Mais au moins, ce documentaire a le mérite de nous amener à nous interroger sur ce qui fait le documentaire. Peut-on parler de « scènes » dans un documentaire ? Peut-on filmer un sujet ou cause qui nous est sympathique a priori ? Est-il moralement admissible d’employer de la musique et dans quelles circonstances ?

Une brève discussion à la sortie de la séance, avec une personne fort sympathique d’ailleurs, nous a appris que « beaucoup » de spectateurs avait « beaucoup » aimé Earth’s women. Chiottes. Nous avons alors admis l’idée de refaire un examen approfondi de la situation : nous sommes arrivés à la même conclusion. C’est un film de merde. En entrant voir Taebaek, land of Embers, une autre personne, tout aussi sympathique, nous a dit qu’elle a aussi trouvé ça nul. Ouf. Et puisqu’on touche le fond, citons Johnny Halliday qui sournoisement résonne dans le cerveau de JMS lors d’une leçon de morale d’une militante à son mari : « une femme, ça t’accepte comme tu es, mais pour mieux te changer ensuite ». Pour nous la conclusion de ce film c’est que la campagne et le bio, ça ne fait du bien : ni à la peau, ni à la ligne.

Taebaek, Land of Embers, Kim Young-jo, 2008, 74 min

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Jeudi 11 novembre à 21h10

Dimanche 14 novembre à 13h

Avant d’y aller on se disait : " Un synopsis alléchant, mais qu'on ne s'y méprenne pas: il s'agit d'un documentaire. Et Yoo Dong-suk, directeur artistique du FFCF, de nous avertir que les documentaires sont à la mode en ce moment. Haha, c'est donc pour ça, merci pour la précision ! Taebaek est une ancienne région prospère en transition, sorte de bassin houiller qui s'est fait flingué par la tertiarisation de l'économie. Bref, une région en déclin, mais dans laquelle il y a un casino qui génère des bénéfices juteux. Donc du clash, de la profondeur, du contraste: on aime. Maintenant, vu que c'est un documentaire, on peut garder pour nous les machettes et autres exécutions. Le film est plutôt contenu d'après ce que je comprends. On nous annonce un petit objet précieux, je veux bien le croire. En revanche, vu la programmation, j'ai l'impression qu'à la fin du festival, on aura fait le plein de thématique socio-économique sudco, et on se sera acheté une crédibilité pour le futur. Pas mal. Sinon un mot du réalisateur, Kim Young-jo. Un gars qui est passé par l'Université Paris VIII. Il connaît donc le RER B. Very good indeed. Il y a moyen que ce documentaire soit une petite merveille"

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Depuis on l’a vu et on est passé par la case Earth’s Women, on a multiplié par deux notre culture « documentaire coréen », autant dire que nous sommes des hommes nouveaux. Comme sur internet, c’est Yoo Dong-suk qui nous présente le film. On a déjà eu l’occasion de signaler qu’il s’agissait d’un homme de goût et on lui accorde pour l’instant le prix de la meilleure présentation. Les conditions n’étaient pourtant pas simples : après une journée de festival les rangs de la salle 1 de l’action Christine étaient fatigués et presque vides. Nous, on a trouvé notre spot, 1er rang face à l'écran : de la place pour les jambes et de la lumière pour écrire. C’est juste un peu chiant pour les projections DVD, la qualité étant ce qu’elle est sur un grand écran, ça donne une impression de flou perpétuel. Dong-suk donc fait un petit point culture avec en amorce une question de Darcy Paquet, référence s’il en est du cinéma coréen. « Pourquoi n’y-t-il pas un Park Chan-wook ou un Hong Sang-soo du documentaire en Corée ? ». La question est posée, le directeur artistique du festival tente une réponse rapide.

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Il faut revenir au passé politique de la Corée. Sous la dictature, deux types de cinéma : militant et marginal (contestataire) ou conformiste. Depuis les années 90 et la fin du régime militaire, le cinéma de fiction a explosé jusqu’à nous imposer la création de ce blog. Le cinéma documentaire, lui, a eu beaucoup plus de mal à sortir de sa dichotomie partisan/conformiste et ce n’est que dernièrement que les membres du FFCF ont cru apercevoir un renouveau du genre au pays du matin calme. Voilà qui explique la bouldée (de « débouler » pourrait se traduire par « arrivée massive d’individus pas forcément désirés ») des docus rue Christine. Pour l’heure, il est tard, on a déjà eu quelques déceptions aujourd’hui et Dong-suk, beau joueur, tente de nous réconforter : « de toute la sélection des documentaires, c’est mon film préféré ». DSY ? Un homme de goût.

Le film commence dans un noir haché de rayons lumineux, parfaite abstraction de la vie souterraine des mineurs, leurs torches attachées au casque. Deux trois panneaux d’explications générales suivies de plans muets (mais pas silencieux) larges ou serrés de la ville et de ses fragments. C’est stylé, c’est subtil, c’est éloquent sans être bavard. Hop, on est rassurés, dans cette ville fantôme on ne croisera pas l’ectoplasme d’Earth’s Women. Bon ce n’est pas du 35mm, le son n’est pas toujours d’une grande qualité et ça fait un peu film d’étudiant, mais on sent là une réelle tentative, un angle d’attaque précis, tout du moins au niveau de la forme.

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En ce qui concerne le fond, on nous dit qu’au début des années 1980, le gouvernement décide de fermer progressivement les villes de la région de Taebaek. Du coup ce bout de terre autrefois peuplé de « héros industriels » dépérit sûrement mais lentement. Kim young-jo, en bon habitué du RER B, sait se faire oublier : il montre, photographie (« director & cinematographer » please), pointe du doigt et préfère généralement se taire. Certes il est difficile pour les autres de faire comme s’il n’était pas là. Un type avec une caméra, à plusieurs centaine de mètres sous terre dans des galeries étroites, ça se remarque. Il l’avoue et nous le rappelle gentiment en plaçant d’entrée une « scène » ou l’un des mineurs dit à l’autre « tu devrais être content d’être filmé ». Sa relation aves ses « sujets » est plus distante, plus virile peut-être, toujours est-il qu’elle semble correspondre avec l’ambiance de cette ville de mineurs et de veuves au foyer.

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Après les plans d’exposition, on est plongés dans la mine, le quotidien des quelques centaines de mineurs qui y travaillent encore. L’immersion est réussie, on a presque l’impression de respirer la poussière, cette poussière qui, on l’apprend plus tard, est un enjeu majeur dans la région. Pour le découvrir il faut sortir de la mine, des catacombes, explorer cette ville fantôme peuplée de spectre féminins et fatigués. Beaucoup de maris sont morts jeunes et aujourd’hui les survivants se battent pour que le gouvernement tienne ses promesses concernant une meilleure prise en compte de la pneumoconiose (allocations, soins de meilleure qualité, etc). Et quand ils se battent, ils choisissent leurs slogans en conséquence : "Nous nous battrons jusqu'à la mort pour avoir le droit de vivre" ou plus direct , au sujet de leur grève de la faim : "nous n'avons pas peur de mourir". On ne va pas raconter tout le film parce qu’on a quand même envie que vous alliez le voir, après tout ça ne dure que 74 minutes. Et puis il reste à découvrir une longue marche guidée à travers la ville, un document d’archive pour la promotion de la mine à ses débuts, un sketch sous-terrain satirique et pas mal de jolies trouvailles… et quelques longueurs aussi, mais on était fatigués donc difficiles de faire la part des choses.

PS : Les trois dernières photos n'ont qu'un rapport lointain avec le film, elles proviennent du musée du charbon de Taebaek.


Rédigé par Kim Bong Park

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